Roller Coaster

Ces grands manèges m'ont toujours rendue malade, rien qu'à les regarder ! Épines dorsales tordues... Bruit de tonnerre et hurlements... Mal de mer, têtes ballottées...

Et pourtant, me voici, malgré moi, embarquée sur un des ces horribles roller coasters craquants et déglingués. Je veux qu'il s'arrête. Je veux descendre.

Des hauts, des bas. Trop de bas.

Des journées où ma seule envie est de dormir parce que là au moins je n'ai pas mal et je ne pense à rien.

Petite mort.

La Petite Mort de Davy Mourier. (Cliquer sur l'image pour le lien)
La Petite Mort de Davy Mourier. (Cliquer sur l'image pour le lien)

Bonne année et bonne santé !

31 décembre, 22 h 30.

Nous venons de terminer nos homards -petits formats- mayonnaise avec un Picpoul de Pinet, aux parfums de garrigue.

L'ambiance est douce, nous sommes en petit tête à tête Lou et moi pour terminer cette année 2017.

Les médicaments endorment mes douleurs.

Une bonne musique, un jazz doux, nous a accompagnés.

Nous descendons au sous-sol pour regarder un des DVD offerts par notre grande petite Fleur, un film d'animation tranquille, pourquoi pas ?... 

Lou allume les appareils pendant que je passe par la case toilettes.

 

Et là !... 

photo de Bernard Bruyère  ( Les Angles (Gard))
photo de Bernard Bruyère ( Les Angles (Gard))

Un spasme éclate mon dos, comme une grenade trop mûre ! Aussitôt explosent des douleurs qui viennent me cisailler le torse et me couper la respiration, me faisant hoqueter comme un pauvre poisson hors de l'eau, comme lorsque le rapace surgit de nulle part, le 12 septembre 2015, s'était abattu sur mon dos plantant ses serres dans mes vertèbres.

Lou m'entend hoqueter, hurler comme une bête blessée. Il accourt, ne sachant que faire.

Je m'asphyxie, ne trouve plus d'air : le dos, les côtes sont bloquées, brûlantes, tétanisées.

 

Une fracture ? En plus d'une métastase ? 

Une métastase qui creuserait un peu plus cet os déjà fragilisé et rongé ?

Oui cela arrive.

Je ne sais pas, je ne sais plus rien, je suffoque, et la moindre velléité de mouvement m'arrache des cris de douleur.

 

Il faudra plus de demi-heure pour que je retrouve un semblant de respiration et que Lou arrive à me relever en me soutenant tel un pantin désarticulé, avec ma culotte baissée... et me faire bouger de quelques pas glissé. Il m'adosse au mur, je m'agrippe au chambranle de la porte des toilettes et Lou fait rapidement, juste dans la pièce à côté, le lit "de camp" de mes malheurs passés. 

Encore une demi-heure pour m'allonger et attendre que les spasmes me lâchent vraiment, avant de m'endormir épuisée, dans un sommeil chimique et sans rêve.

 

Le 1er janvier commence de la même manière. Les Doliprane et le Tramadol n'ont qu'un petit effet.

 

Aller aux urgences ? Pour un nerf, ou plusieurs, coincé par une vertèbre qui se tasse, s'émiette ou se déplace, alors qu'il ne faut pas bouger ? Bien sûr l'idée me traverse l'esprit, et plusieurs fois même, comme si d'un coup de baguette magique "on" allait arrêter tout ça ! Mais, éternelle question, dans quel état vais-je y arriver avec les chemin et nids de poule de notre Lot profond ? Superbe mais loin de tout...

 

Et pour voir qui ? Au service d'oncologie, je sais que c'est le Dr G. Lagerbe qui est d'astreinte pour la St Sylvestre et le 1er, on me l'a dit.

Alors j’attendrai, le 2 janvier, sans bouger, avec mes médicaments, c'est ce qu'il y a de plus sage, malgré les critiques que n'ont pas manqué de m'envoyer famille et "amis", le jour du retour du Dr Hachmi, pour l'appeler à l'aide.

 

Depuis la veille je reçois des vœux de bonne année et de bonne santé...

J'en pleure de frustration, de colère, de rage, de je ne sais pas quoi !...

C'est trop dur.

 

Dr Hachmi, au téléphone me dit d'augmenter la dose de Tramadol, surtout demain où je dois être conduite jusqu'à Montauban pour une scintigraphie osseuse. On espère y voir plus clair que sur le petscan. Et, surtout, il veut me voir le lendemain, le 4 donc.

 

Le matin du 3, je me sens bien mal... La dose doublée de Tramadol me rend malade et peu après mon lever plus que périlleux, Lou me portant presque, me voici déjà en train de vomir. Chaque hoquet empire le mal au dos. Et chaque pointe vrillée dans mon dos déclenche un haut le cœur !

Je veux retourner me coucher !

Qu'on me laisse tranquille !

 

Bien sûr je ne le ferai pas.

Roller Coaster & Gril  Costal

Derniers jours du roller coaster de Dreamland à Nara photo de Jordy Meow
Derniers jours du roller coaster de Dreamland à Nara photo de Jordy Meow

Heureusement, le départ, avec mon ancien chauffeur de 2015, Mr Darling est à midi et demie. J'arrive à récupérer un semblant de normalité et les médicaments commencent à faire leur effet.

Nous voici en partance vers Montauban.

Evidemment dès les  premiers virages j'ai de nouveau la nausée. Heureusement le VSL de Mr Darling glisse, sur l'autoroute lisse, les nausées s'estompent, et nous arrivons à la clinique Pont de Chaumes.

Je demande un lit pour attendre pendant les deux heures nécessaires au produit radioactif injecté, pour se déposer sur mon petit squelette.

Puis je demande encore de l'aide au manipulateur pour me mettre, à plat dos, sur la table de la machine. Ce qu'il fait correctement et doucement : j'y parviens sans déclencher les spasmes diaboliques. Mais au moment de me relever, l'aide du manipulateur s'arrête lorsque je suis assise au bord de la "couchette" et il sort de la salle ! Et là ça ne va plus du tout. Je réussis à me lever en m'appuyant sur les cuisses, mais les douleurs au thorax m'empêchent de marcher et pour couronner l'affaire, j'ai la tête qui tourne. Et je suis seule !

Heureusement vient à passer une dame qui, me voyant appuyée au mur en train de chercher de l'air, la bouche ouverte, comprend que j'ai besoin d'aide, et l'on me ramène, en me soutenant, dans la salle des lits. Exsangue et à bout de souffle.

J'y attendrai les résultats en compagnie de deux ambulanciers et d'une dame couchée sur un brancard pour ce qui semble être une violente sciatique.

Le docteur en blouse blanche arrivent avec les résultats de la dame, qui ne lui en apprennent pas plus sur ses douleurs... Un bon quart d'heure après c'est avec mes résultats qu'il est de retour. Et il ne m'apprend rien de nouveau non plus : j'ai des métastases osseuses,  partout.

En revanche il liste le "partout" !

Probablement et essentiellement sur la vertèbre D11. Et peut-être aussi la  la D9. Et puis aussi sur les hanches, les deux, et les omoplates, et le "gril costal", à droite et à gauche, et on y met le sternum avec... et la voûte crânienne.

Stop ! N'en jetez plus ! Ça suffit ! 

J'ai l'impression que des centaines de petits crabes courent, se glissent et s'incrustent partout, dans les cavernes sombres de mon corps livré à leur féroce appétit !

Bien sûr on ne sait pas trop si "tout ça" ce sont des métastases ou des inflammations, mais vu que les marqueurs cancéreux sont en hausse, en très forte hausse au dernier bilan (238... alors que le plafond "normal" est de 26,4 !) ... on ne va pas chipoter.

 

La visite chez le Dr Hachmi, le lendemain, conduite cette fois par un autre chauffeur, employé d'une grosse boîte qui nous fait arriver vingt minutes en retard, non pas à cause de lui, mais du patron qui veille au rendement, ne fait guère avancer le schmilblick.

Il s'étonne cependant de me voir en fauteuil roulant ! Je peux faire quatre pas au rythme lent d'une tortue, mais je ne peux certainement pas marcher le long de ces immenses couloirs. J’explique les "spasmes". Il fronce les sourcils. Comprend que mes douleurs sont plus graves que prévues. Il lit le compte rendu et regarde les images de la scintigraphie. Les compare à celles du petscan. S'interroge.

Il faudra faire des rayons sur la D11. Ca, c'est déjà une première certitude. Faut voir ce que va dire le radiothérapeute. Soit.

Il me va donc falloir retourner à Montauban voir le spécialiste des rayons.

En attendant il décide de me garder à l'hôpital pour me faire passer une radio du rachis. Les choses s'accélèrent d'un coup.

J'avertis Lou.

On me fait passer cette radio en urgence puis on m’installe, pour déjeuner, dans la salle des fauteuils de chimio... Je retrouve l'odeur des produits... les alarmes des perfusions. Deux bonshommes avec leurs poches et leurs tuyaux, branchés sur... les jeux de TF1, mangent en silence.

Je pleure doucement dans mon assiette.

 

Le roller coaster de la vie m'a foutu la tête en bas.

Un vieux roller coaster qui craque de partout et n'en peut plus. Et va m'emporter dans sa déglingue finale !

Le Rapace est de retour

Dr Hachmi revient me voir plusieurs fois, me console, essaie de trouver des solutions rapides, en attendant de démarrer les traitements, ce qui ne peut pas se faire du jour au lendemain, sans les avis des spécialistes réunis en concertation pluridisciplinaire qui doivent caler ces rendez-vous non prévus dans leur agenda surchargé.

Dr Hachmi parle d'une perfusion de Pamidronate (un biphosphonate) tant que que je suis là, afin de consolider mes... Il a peur que mes vertèbres déformées par les tassements et/ou la métastase ne touchent la moelle épinière.

Il me fait installer dans une chambre.

Revient me voir encore. Maintenant il veut une IRM pour cette histoire de moelle épinière. Apparemment la radio ne suffit pas... On n'en finira donc jamais avec ces examens ! Je lui fais part de ma peur de toutes ces manipulations. Il me rassure. Il tente de me rassurer.

 

Mais quand il revient dans la chambre, le rapace s'est de nouveau abattu sur mon dos, sans prévenir, et fouille mes côtes et mes vertèbres.

Je ne peux m’empêcher de penser à "l'aigle de sang" cette forme d’exécution plus que barbare, relatée par la littérature scandinave !       

Dr Hachmi me trouve hoquetante, en train de m'asphyxier et crier en même temps, griffant l'air de ma main gauche, avec la télécommande du lit dans la droite, coincée dans un mouvement inachevé : tenter de m'allonger. Rapidement il tente de m'apaiser pour que je reprenne mon souffle ce qui aurait pour effet de calmer les spasmes. Mais n'y arrive pas.

Cette fois il voit et comprend ce dont je parle. Il est très préoccupé.

Les blouses blanches accourent dans ma chambre. Dr Hachmi prescrit du Fentanyl en cachet pour tout de suite et l'infirmière court le chercher à la pharmacie de l'hôpital. On me met le comprimé dans la bouche, il fond sur la langue.

Dr Hachmi a lentement fini de faire basculer le dossier électrique du lit dans la position horizontale pour décoincer le nerf.

 

L'IRM est à 17 heures. On espère que, d'ici là, le Fentanyl aura fait effet. On y ajoute du Lexomyl pour que je sois "détendue" et  du Lyrica pour calmer encore la douleur. 

Finalement, contre toute attente, l'IRM se déroule bien.

Dr Hachmi m'attend à la sortie de l'examen... On me colle un patch de Fentanyl. Je dois en coller un tous les trois jours pendant un mois et prendre un comprimé si douleurs, environ toutes les six heures... Attention à la dépendance !!!

La nuit sera bonne.

Aucun vautour, aucun faucon, aucun milan noir ne viendra m'extirper de mon sommeil.

 

Seules deux grandes silhouettes blanches dans une sorte de pénombre viendront me réveiller... pour voir si je dors bien...


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